La question que je redoutais
Elle m'a dit que sa copine est triste parce que ses parents vont divorcer, et qu'elle n'ose pas en parler à la maîtresse. Elle lui a dit parce qu'elle est aussi dans ce cas, d'avoir des parents qui ne s'aiment plus et qui ne sont plus ensemble. "En plus, je n'ai pas de souvenir de vous deux ensemble".
Elle m'a encore demandé à quel âge je suis partie avec elle de l'appartement qu'on habitait tous les trois. Elle avait l'âge de Petite Soeur... quand j'y pense, ça me fait une grosse boule dans la gorge. Je ne pourrais pas me passer de Petite Soeur pendant plusieurs jours. Dans mon souvenir, les premières fois où Chouinette est allée chez son père (et longtemps après), j'avais l'impression qu'on m'avait arraché un membre. Je comprends pourquoi. Cette impression douloureuse remonte en moi comme une vielle complainte. Je vivais ça comme un déchirement à l'époque. C'en était un et je m'autorise à le voir ainsi à présent. Je mets de côté les paroles entendues alors comme : "N'y pense pas, le temps passera plus vite" ou pire encore, les morales passées en douce, du genre : "tu savais à quoi t'attendre en te séparant de son père". Autant de jugements de valeur qui sont comme des flèches, dites par l'entourage l'air de rien, mais qui nient et empêchent d'exprimer la tristesse qu'on a en soi...
"Je regrette vraiment les conséquences que ça a pour toi, tu sais. Je vois qu'en ce moment, c'est difficile pour toi. Tu te poses beaucoup de questions sur qui tu es, sur ce que tu deviens. Mais je ne regrette pas d'être partie." Elle me regarde et on parle encore. "Pourquoi tu es partie, vous ne vous aimiez plus ?"
Non, on ne s'aimait plus. Mais s'est-on aimé un jour ? Je préfère ne pas aborder ce sujet pour le moment. Elle est encore jeune, n'a pas besoin de tout savoir non plus. Il faut que je sois sûre d'abord qu'elle puisse encaisser. "Non, on ne s'aimait plus et c'était devenu trop difficile à supporter pour moi".
"Pourquoi ?"... Quoi répondre ? "On se disputait tout le temps, c'était devenu invivable. Cela ne ressemblait plus à une vie de couple ni à une vie de famille. Il fallait que ça s'arrête, il y avait trop de violence." Chouinette me regarde et me demande : "il te tapait ?" Je redoutais depuis quelques temps cette question... "Oui, c'est arrivé", je réponds en lui souriant. "Papa, il a un fort caractère".
C'est dit. Je lui ai dit. Un tout petit morceau. Une amorce. Je me sens soulagée. Elle n'est pas effondrée. Elle le sentait. Elle le sait.
"Tu sais, c'était souvent des disputes, des cris... je ne pouvais plus vivre comme ça. Il faut d'abord se respecter. Quand on accepte n'importe quoi, ce n'est pas bon, non plus, pour les enfants. Qu'est-ce que ça t'aurait appris que je reste et que tu assistes à des disputes incessantes ? Et puis on sait qu'un homme qui tape recommence toujours et je ne voulais pas que ça soit encore le cas." Je ne lui dis pas mais à l'époque, elle m'a appelé "pétasse". C'est ce jour-là que le déclic s'est fait. Je la remercie intérieurement de m'avoir dit ce mot, droit dans les yeux, avec sa toute petite voix. Il a été cet électrochoc qu'il me fallait pour trouver la force de quitter mon appartement.
Elle m'écoute et n'a pas l'air trop destabilisée. "C'est ma version, tu sais. Ton père en aurait sans doute une autre. Peut-être même que si tu lui en parles, il te dira que j'ai tout inventé ! D'ailleurs, tout n'est jamais tout blanc ou tout noir ! Il a probablement des choses à me reprocher. Je le sais très bien. Mais je pense que rien ne justifie la violence. Tu comprends ? Et puis ce qui compte, c'est que maintenant, tu as deux parents qui t'aiment très fort et je sais que ton père s'occupe bien de toi, même si ce n'est pas comme tu le voudrais, parfois. Je ne veux pas que tu voies ton père différemment dans ta tête. Il reste ton père et ce qu'on a vévu ensemble ne doit pas changer l'amour que tu as pour lui. Il faut savoir dissocier les choses. D'ailleurs, avec une autre femme, il sera peut-être beaucoup plus calme. Regarde, moi, avec l'Amoureux, je suis heureuse. Il n'y a pas de raison pour que ça ne puisse pas lui arriver !"
"Je sais", me dit Chouinette. Elle vient contre moi et je lui dis que je l'aime. Que je l'ai toujours aimée. Elle me sourit. Cette chose dite, tant redoutée, ça me bouleverse et ça me soulage. C'est enfoui en moi car je ne suis pas fière de ce que j'étais à cette époque, de tout ce que j'ai laissé faire...
Je regarde ma fille sortir jouer dans le jardin, rejoindre en riant ses frères et soeurs. J'ai tellement envie de la préserver. Et en même temps, je lui dois ma vérité. Par petites couches. Parce que c'est son histoire, aussi. Je la vois jouer. On dirait qu'elle a le coeur léger.
Elle m'a encore demandé à quel âge je suis partie avec elle de l'appartement qu'on habitait tous les trois. Elle avait l'âge de Petite Soeur... quand j'y pense, ça me fait une grosse boule dans la gorge. Je ne pourrais pas me passer de Petite Soeur pendant plusieurs jours. Dans mon souvenir, les premières fois où Chouinette est allée chez son père (et longtemps après), j'avais l'impression qu'on m'avait arraché un membre. Je comprends pourquoi. Cette impression douloureuse remonte en moi comme une vielle complainte. Je vivais ça comme un déchirement à l'époque. C'en était un et je m'autorise à le voir ainsi à présent. Je mets de côté les paroles entendues alors comme : "N'y pense pas, le temps passera plus vite" ou pire encore, les morales passées en douce, du genre : "tu savais à quoi t'attendre en te séparant de son père". Autant de jugements de valeur qui sont comme des flèches, dites par l'entourage l'air de rien, mais qui nient et empêchent d'exprimer la tristesse qu'on a en soi...
"Je regrette vraiment les conséquences que ça a pour toi, tu sais. Je vois qu'en ce moment, c'est difficile pour toi. Tu te poses beaucoup de questions sur qui tu es, sur ce que tu deviens. Mais je ne regrette pas d'être partie." Elle me regarde et on parle encore. "Pourquoi tu es partie, vous ne vous aimiez plus ?"
Non, on ne s'aimait plus. Mais s'est-on aimé un jour ? Je préfère ne pas aborder ce sujet pour le moment. Elle est encore jeune, n'a pas besoin de tout savoir non plus. Il faut que je sois sûre d'abord qu'elle puisse encaisser. "Non, on ne s'aimait plus et c'était devenu trop difficile à supporter pour moi".
"Pourquoi ?"... Quoi répondre ? "On se disputait tout le temps, c'était devenu invivable. Cela ne ressemblait plus à une vie de couple ni à une vie de famille. Il fallait que ça s'arrête, il y avait trop de violence." Chouinette me regarde et me demande : "il te tapait ?" Je redoutais depuis quelques temps cette question... "Oui, c'est arrivé", je réponds en lui souriant. "Papa, il a un fort caractère".
C'est dit. Je lui ai dit. Un tout petit morceau. Une amorce. Je me sens soulagée. Elle n'est pas effondrée. Elle le sentait. Elle le sait.
"Tu sais, c'était souvent des disputes, des cris... je ne pouvais plus vivre comme ça. Il faut d'abord se respecter. Quand on accepte n'importe quoi, ce n'est pas bon, non plus, pour les enfants. Qu'est-ce que ça t'aurait appris que je reste et que tu assistes à des disputes incessantes ? Et puis on sait qu'un homme qui tape recommence toujours et je ne voulais pas que ça soit encore le cas." Je ne lui dis pas mais à l'époque, elle m'a appelé "pétasse". C'est ce jour-là que le déclic s'est fait. Je la remercie intérieurement de m'avoir dit ce mot, droit dans les yeux, avec sa toute petite voix. Il a été cet électrochoc qu'il me fallait pour trouver la force de quitter mon appartement.
Elle m'écoute et n'a pas l'air trop destabilisée. "C'est ma version, tu sais. Ton père en aurait sans doute une autre. Peut-être même que si tu lui en parles, il te dira que j'ai tout inventé ! D'ailleurs, tout n'est jamais tout blanc ou tout noir ! Il a probablement des choses à me reprocher. Je le sais très bien. Mais je pense que rien ne justifie la violence. Tu comprends ? Et puis ce qui compte, c'est que maintenant, tu as deux parents qui t'aiment très fort et je sais que ton père s'occupe bien de toi, même si ce n'est pas comme tu le voudrais, parfois. Je ne veux pas que tu voies ton père différemment dans ta tête. Il reste ton père et ce qu'on a vévu ensemble ne doit pas changer l'amour que tu as pour lui. Il faut savoir dissocier les choses. D'ailleurs, avec une autre femme, il sera peut-être beaucoup plus calme. Regarde, moi, avec l'Amoureux, je suis heureuse. Il n'y a pas de raison pour que ça ne puisse pas lui arriver !"
"Je sais", me dit Chouinette. Elle vient contre moi et je lui dis que je l'aime. Que je l'ai toujours aimée. Elle me sourit. Cette chose dite, tant redoutée, ça me bouleverse et ça me soulage. C'est enfoui en moi car je ne suis pas fière de ce que j'étais à cette époque, de tout ce que j'ai laissé faire...
Je regarde ma fille sortir jouer dans le jardin, rejoindre en riant ses frères et soeurs. J'ai tellement envie de la préserver. Et en même temps, je lui dois ma vérité. Par petites couches. Parce que c'est son histoire, aussi. Je la vois jouer. On dirait qu'elle a le coeur léger.
le 28.05.08 à 11:27
dans La vie est un arc-en-ciel
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Commentaires
Là, on n'est plus dans "les petites choses".
La preuve que l'Amour et la Tendresse peuvent être clairs, limpides et vrais. Il y a de la libération dans l'air.
En tous cas, merci pour la confiance que tu fais à tes visiteurs. C'est un partage émouvant et fort.
Une bise sur le front à toute la famille.
Claudiogène - 28.05.08 à 11:38 - # - Répondre -
← A Claudiogène
lespetiteschoses - 28.05.08 à 11:45 - # - Répondre -
Honoré
C'est... comment dire... honorant... Oui, c'est ça. Honorant. Drôle de mot, je sais. Mais c'est celui qui me vient dans le silence qui suit la lecture de ce billet. Je me sens honoré de lire tout ça. Touché. Impressionné, aussi, tellement ça respire l'intelligence, l'humanitude, l'amour, la confiance.
Didier - 28.05.08 à 13:06 - # - Répondre -
← A Didier
Mais ça fout les pétoches, aussi...
lespetiteschoses - 28.05.08 à 15:05 - # - Répondre -
Lien croisé
Carnet à spirales : " La vie est belle, le monde est pourri. J'ai adopté cette phrase dénichée du côté de chez Manu Chao. Elle m'est venue en tête en lisant le magnifique texte que Marie a osé déposer sur son blog, histoire de nous rappeler au passage que les petites choses de la vie ne sont rien d'autre que des grands moments."
Anonyme - 28.05.08 à 14:29 - # - Répondre -
Merci Marie pour ce moment fort , trés fort ! je n'ai pu retenir mes larmes .................
Je ne sais pas si je m'en serais sortie aussi bien dans les explications , tu as su trouver les bons mots , le bon moment !
" C'est enfoui en moi car je ne suis pas fière de ce que j'étais à cette époque, de tout ce que j'ai laissé faire..."
Vous etiez deux Marie , tu as laisser faire mais avais tu vraiment le choix ? je ne crois pas sinon tu n'aurais pas laisser faire !
Tu peut etre fiere de ce que tu est , ce que tu est devenue ! ta fille sait , comprend et comprendre encore plus en grandissant et toi tu aura le coeur de plus en plus leger et c'est bien cela le plus important !
Tu est enfin heureuse , aimer a ta juste valeur ! Chapeau bas vraiment ....
choupette - 28.05.08 à 16:38 - # - Répondre -
← A Choupette
Merci, Choupette.
lespetiteschoses - 28.05.08 à 16:58 - # - Répondre -
Je ne sais pas quoi dire, alors je dis rien :)
Mais je sent que c'est bon pour tout le monde. :)
Stéph@ne... - 28.05.08 à 23:36 - # - Répondre -
← A Stéph@ne
lespetiteschoses - 29.05.08 à 00:56 - # - Répondre -
Juste merci pour cette Note mais c'est plus qu'une Note.
Réveille en moi trop ce choses que je n'écrirais sans doute pas. Alors, ce mot très fort IDENTIFICATION ou quand les mots pensés et non dit le sont par un (une) autre.
Merci Marie, belle journée à toi ce jour.
Louis-Paul - 29.05.08 à 10:55 - # - Répondre -
← A Louis-Paul
J'ai hésité beaucoup avant de l'écrire. Puis encore avant de la publier !
Bonne journée à toi aussi !
lespetiteschoses - 29.05.08 à 15:14 - # - Répondre -
Au cas où je te l'aurais pas déjà dit : je t'aime Marie !
Tiphaine - 31.05.08 à 00:51 - # - Répondre -
← A Tiphaine
lespetiteschoses - 31.05.08 à 14:51 - # - Répondre -
Il faut dire les choses pour elle et pour toi, pour lui. Après, elle se forgera son libre-arbitre vis-à-vis de vous deux.
Ceci dit, tu lui donnes une éducation équilibrée en l'écoutant, lui donnant des réponses... une mère attentive qui dit ouvertement à sa fille que la violence est inacceptable dans un couple, que la communication est essentielle pour résoudre les crises.
Eden - 01.06.08 à 14:24 - # - Répondre -
← A Eden
Je sais bien, Eden (ravie d'avoir ta visite ici, au passage), mais ce n'est pas toujours facile d'assumer !
lespetiteschoses - 01.06.08 à 14:57 - # - Répondre -
Je suis de retour par hasard sur ton blog (on ne rappellera pas mon pseudo des débuts, tellement honteux), mais ton histoire me touche terriblement, et je te trouve d'un courage exemplaire d'en parler a ta fille avec une telle simplicité. Je vous souhaite plein d'amour, de bonheur et de moments heureux, a toi et a toute ta petite famille =)
Pierre - 30.06.08 à 18:37 - # - Répondre -
← A Pierre
Merci de ta visite, Pierre. Tu vas bien ?
lespetiteschoses - 30.06.08 à 19:20 - # - Répondre -
Moi tout va bien, je fête mes 17 ans la semaine prochaine, la vie est cahotique mais je m'en sors comme je peux :)
Pierre - 09.07.08 à 03:30 - # - Répondre -
← A Pierre
J'en suis sûre ! Tu es débrouillard !
lespetiteschoses - 12.07.08 à 12:29 - # - Répondre -
bonjour.
Je suis en admiration devant un tel talent de communication. Moi, je suis mariée depuis 28 ans au même homme. D'une certaine façon, je suis un peu "ors normes", n'étant pas ni divorcée, ni couple à problème".... Mais j'assume bien, merci.
C'est pourquoi je suis pleine d'admiration devant l'intelligence mise à profit d'une relation si forte entre une maman et sa fille. Moi, je crois (enfin, oui, je l'espère trés fort ! ) avoir aussi réussi à bien communiquer avec mes trois filles. La parole est tellement sacrée ! Si seulement les gens pouvait en tirer cette leçon de vie... LA PAROLE EST SACREE CAR THERAPEUTIQUE DONC SALVATRICE.....
Enfin, voilà.... Ca conforte tellement ce que je pense..... Mille merci de nous accorder, à nous, une telle confiance.... Ton blog ressemble un peu au mien, par certains aspects. C'est interessant ! Je reviendrai !
Bonne soirée, et bon vent à toute ta nichée.
salpiglossis - 16.08.08 à 21:55 - # - Répondre -
← A Salpiglossis
Merci !
lespetiteschoses - 19.08.08 à 17:11 - # - Répondre -
Lien croisé
La redoute - Paperblog : " La vie est belle, le monde est pourri. J'ai adopté cette phrase dénichée du côté de chez Manu Chao. Elle m'est venue en tête en lisant le magnifique texte que Marie a osé déposer sur son blog, histoire de nous rappeler au passage que les petites choses de la vie ne sont rien d'autre que des grands moments."
Anonyme - 28.06.12 à 04:45 - # - Répondre -