Les retrouvailles
Il est tard et il fait froid mais les enfants attendent ce moment depuis plusieurs jours. On a compté les nuits à passer. On a énuméré les sorties prévues avant l'échéance. On a dit parfois : "Tu sais, si ça continue, j'vais l'dire à mon père quand il va revenir de chez son frère !" en faisant les gros yeux. On a attendu ses coups de fil. On a envoyé des dessins par mail. On a changé deux ou trois fois de lieux pour que le temps paraisse moins long. Et ce matin, on a dit ça. Alors forcément, la soirée a pris un air de fête et on s'est mis sur notre 31. Les filles ont revêtu une belle robe chinoise, Crapouillot s'est coiffé de sa casquette rétro. J'ai sorti les chaussures à talons des grands jours.
Nous arrivons à l'aéroport. "Regardez bien au-dessus de vos têtes !" je dis. Il y a de l'euphorie dans l'air. Chouinette scrute en spéculant sur le sens d'arrivée. Crapouillot trouve qu'il y a trop de lumières. Petite Soeur râle parce qu'elle voudrait descendre de son siège. Dans le grand hall, je constate que l'avion a dix minutes de retard. Cela nous donne le temps de trouver le bon endroit, et d'arriver juste au moment où l'engin se gare, de l'autre côté des grandes baies vitrées. Je regarde les gens, venus chercher quelqu'un. Certains cherchent à apercevoir les passagers. D'autres lisent un journal ("des habitués", je pense).
Liloo et David, son amoureux, nous rejoignent. Elle veut faire la surprise à son père. Il ne s'attend pas à ce qu'elle soit là aussi. Puis Gégé, mon beau-frère et Amandine, sa fille. Quel comité d'accueil pour les deux veinards de vacanciers qui ne se pressent pas à arriver ! On discute, on court après Petite Soeur qui a la graine de l'exploratrice, on dit à Crapouillot de ne pas lui courir après pour qu'elle n'aille pas plus loin. Amandine attend sa mère aussi mais les grandes filles de dix ans ne montrent pas leur empressement. Elle me dit d'un air faussement indifférent : "Non, non, c'était pas trop long, six jours... mais je suis contente qu'elle rentre !"
Derrière la vitre de verre, l'escalier qui dépose les passagers. Les enfants, collés à la vitre, disent : "Oh, non, c'est pas encore eux !" Le frère et la soeur se font attendre. Chouinette dit : "Ils ont peut-être raté leur vol !" Petite Soeur lèche la surface devant elle. Des tas de jambes défilent sous nos yeux, faisant place à des bustes puis à des têtes au fur et à mesure qu'ils descendent. Et puis des chaussures connues... Ils sont là !
De chaque côté de la vitre, des sourires, des mouvements de la main. Finalement, Amandine sourit jusqu'aux oreilles, Chouinette aussi. Crapouillot est tout ému. Mais rapidement, il essaie de passer par les portes de service pour rejoindre la salle des bagages, stoppé dans son élan par un agent. La hermana et l'Amoureux nous prennent en photo, discutent encore (profitent-ils de leur dernier moment au calme ?). On a l'air de singes... ce serait tellement mieux de se rejoindre tout de suite !
Au milieu du vacarme général, une petite voix s'élève. Je regarde Petite Soeur, bras collés contre le verre. Elle dit : "Papa, papa, papa, papa, papa, papa !" comme une chanson de bienvenue. Mais il ne peut pas l'entendre. Elle ne s'arrêtera que dans ses bras...
Les bagages arrivent. Les vacanciers aussi. C'est la valse des bisous. Les plus petits font la fête à leur père. Les plus grands attendent leur tour. "Tu es venue toi aussi" dit le père à la deuxième de ses filles, content ! Je commence par la Hermana. "Mais c'est une plaie, celui-là ! Je suis bien contente de te le rendre !", en faisant un signe de tête vers son frère. "Il cherche tout le temps ses affaires ! Ses sous, les clés de la voiture, de l'appartement... Tu sais pas ce qu'il m'a fait ? Il a perdu les billets d'avion pour le retour ! Quand il les a retrouvés, je lui ai dit de me les donner ! Le stress !" Il rit bien, derrière, l'Amoureux. Je comprends que non seulement ce que sa soeur dit est vrai mais qu'en plus, ça a été pour elle un calvaire quotidien (ça ne m'étonne pas... à la maison, je ne veux plus me lever en même temps que lui pour ne pas assister à la course aux affaires du matin : les lunettes, les clés, les copies de telle classe, le cours pour telle autre) !
Il est en face de moi, je n'ose pas avancer trop vite. Je n'ose pas le serrer trop fort. Un bisou dans le cou. Son bras autour de moi. Les enfants qui courent autour. Un bisou, encore. "Je suis contente de te voir", je lui dis. "Tu es belle", il me répond. Je ferme les yeux. Très vite. Pour sentir son parfum. Pour profiter de sa chaleur. Pour ne pas me plonger dans son regard. Pas encore. Chacun son tour. Deux petits bras entourent déjà ses jambes. "Papa !"
Un pot tous ensemble. La hermana et sa petite famille nous laissent. Ils ont encore pas mal de route à faire. Nous raccompagnons Liloo et David à leur voiture. Papotons cinq minutes. Pendant ce temps, Crapouillot tire la grosse valise de son père, sous les "conseils" de Chouinette. On regarde un avion décoller.
Dans la voiture. On s'apprête à partir. "Il faut la carte bancaire pour sortir du parking", je dis à L'Amoureux. "C'est moi qui l'ai ?" il me demande tout surpris. "Oui... je me rappelle bien l'avoir emmenée mais où est-elle ? Tu es bien sûre que je ne l'avais pas laissée à la maison ? Attends, regarde dans mon portefeuille. Tiens, il est où, d'ailleurs ?" Je ne dis rien, lève les yeux vers le ciel (de la voiture, mais quand même !)... Pas de doute : l'Amoureux est de retour !
Spéciale dédicace à la Hermana... et à tous ceux à qui cette petite scène rappellera des vacances à chercher carte bancaire, clés ou chéquiers... sans parler des programmes changés au dernier moment pour cause de mauvaise organisation. Ils se reconnaîtront. Merci pour leur patience !
le 10.11.07 à 03:38
dans La vie est un arc-en-ciel
- Lu 1726 fois
-
Article précédent - Commenter - Article suivant -
Discussions actives
Recherche d'articles
Derniers commentaires
- Laurine - Jalousie, quand tu nous tiens... #9
- Anonyme - La géante du Titanic et le scaphandrier - Compagnie Royal de Luxe #9
- Anonyme - C'est quoi, les élections municipales ? #7
- Anonyme - Une langue des signes dont on peut se passer #3
- Anonyme - Rire #14
- Anonyme - P'tits bonheurs - Patrick Marqué #17
- saréa - Mais pourquoi le ciel est-il bleu ? #3
- Anonyme - Noires douleurs #12
- Anonyme - Lili - Agnès Lacor et Gwen Le Gac #3
- Anonyme - Pour ne pas fermer les yeux sur les mutilations sexuelles #6
Commentaires
Tiens, je suis en train de me demander si ton amoureux ne serait pas mon frère :-)
Pkdille - 10.11.07 à 10:18 - # - Répondre -
C'est tellement beau !
On a l'impression d'être physiquement présents, d'être les témoins visuels de ces retrouvailles si touchantes. C'est tellement beau ! Tellement bien décrit.
L'amoureux, c'est presque un personnage littéraire ou plutôt de BD. Un petit peu Gaston Lagaffe. Ses élèves doivent l'apprécier, j'en suis certaine. Les personnes comme lui, dans la lune, un peu étourdies sont généralement des êtres sensibles, rêveurs, humains.
Et j'ai adoré, entre autre, l'accueil de petite soeur, sa réaction en reconnaissant son papa à travers la vitre.
Magnifique.
Quelle belle famille !
catwoomen - 10.11.07 à 13:20 - # - Répondre -
J'ai l'impression d'etre avec vous à l'aeroport tellement c'est magnifiquement raconté :)
choupette - 11.11.07 à 10:15 - # - Répondre -